Par Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités, expert international, docteur d’État.
Dans sa déclaration du 21 février 2025, le Groupe d’action financière (GAFI) a placé plusieurs pays sous surveillance renforcée, notamment l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Croatie, Haïti, le Kenya, le Liban, le Mali, Monaco, le Mozambique, la Namibie, le Népal, le Nigeria, la République démocratique du Congo, la République démocratique populaire lao, le Soudan du Sud, la Syrie, la Tanzanie, le Venezuela, le Vietnam et le Yémen.
Le 10 juin 2025, la Commission européenne a annoncé sa décision d’aligner sa propre liste sur celle du GAFI, ajoutant notamment l’Algérie, Monaco, l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Laos, le Liban, la Namibie, le Népal et le Venezuela à la liste des pays dits « à haut risque ». Ces États font désormais l’objet d’une surveillance accrue en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. « L’identification des juridictions à haut risque reste un instrument essentiel pour préserver l’intégrité du système financier européen », a souligné la commissaire chargée des services financiers, Maria Luís Albuquerque.
Bien que le Parlement européen et les États membres disposent d’un délai de deux mois pour contester cette décision, ce classement signifie de facto que l’Algérie est désormais considérée par l’Union européenne comme une juridiction à risque élevé. Cela pourrait entraver ses relations économiques avec l’Europe, hors secteur énergétique, en raison de l’augmentation des coûts de transaction. En effet, les institutions financières européennes seront désormais tenues d’appliquer des procédures renforcées de vérification sur les actifs détenus en Europe par des non-résidents algériens, avec un contrôle accru de la provenance des fonds.
1. L’Algérie et les recommandations du GAFI
Face à cette situation, les autorités algériennes affirment leur volonté de se conformer aux recommandations du GAFI, en modernisant leur système national de lutte contre le blanchiment de capitaux et en renforçant son efficacité.
Le cadre juridique algérien criminalise déjà de nombreux délits : corruption passive et active, enrichissement illicite, abus de pouvoir, paiements de facilitation, trafic d’influence. L’introduction de l’obligation de bancarisation de certaines transactions dans la loi de finances 2025, notamment dans l’immobilier, s’inscrit dans cette dynamique (voir notre interview sur RT International du 11 juin 2025).
Les textes de loi prévoient des sanctions pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour blanchiment d’argent et financement du terrorisme. Plusieurs institutions ont été mises en place à cet effet, parmi lesquelles :
- La Haute Autorité de Transparence, de Prévention et de Lutte contre la Corruption (HATPLC)
- L’Office Central de Répression de la Corruption (OCRC)
- L’Organe National de Prévention et de Lutte contre la Corruption (ONPLC)
- La Stratégie nationale de transparence (juillet 2023)
L’arsenal législatif comprend notamment :
- La loi n°05-01 du 6 février 2005 sur le blanchiment et le financement du terrorisme
- Le règlement de la Banque d’Algérie n°12-03 du 28 novembre 2012
- La loi n°06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention de la corruption
- Plusieurs décrets présidentiels relatifs à la déclaration de patrimoine et aux marchés publics.
L’Algérie est aussi signataire de plusieurs conventions internationales, dont :
- La Convention des Nations Unies contre la corruption (ratifiée en 2004)
- La Convention de l’Union africaine sur la prévention de la corruption (ratifiée en 2006)
- La Convention arabe contre la corruption (ratifiée en 2014)
2. Limites du dispositif et enjeu de gouvernance
Toutefois, l’existence de ces textes et organes ne garantit pas leur efficacité. Les institutions de contrôle, comme celles rattachées au ministère des Finances, relèvent du pouvoir exécutif et manquent d’autonomie. Cela limite leur capacité à lutter réellement contre les pratiques illicites. Plus encore, les racines de la corruption résident dans les dysfonctionnements systémiques liés à la gestion de la rente pétrolière.
Dès lors, une refonte institutionnelle s’impose : il est impératif de renforcer les mécanismes de gouvernance démocratique, d’assurer la transparence dans les institutions publiques et de réhabiliter la Cour des comptes dans ses fonctions constitutionnelles. Il en va de la crédibilité de l’État algérien vis-à-vis de ses partenaires et des investisseurs internationaux.
3. Le GAFI : un acteur central dans la régulation financière mondiale
Le GAFI est une organisation intergouvernementale fondée en 1989 qui regroupe des pays membres issus des principales économies mondiales. Il élabore des normes pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Il publie deux listes :
- La liste noire, désignant les juridictions présentant de graves lacunes et appelant à des contre-mesures sévères.
- La liste grise, concernant les juridictions sous surveillance renforcée qui collaborent avec le GAFI pour corriger les déficiences stratégiques identifiées dans des délais convenus.
Conclusion
La décision récente de l’Union européenne d’aligner sa liste sur celle du GAFI pourrait décourager les investisseurs internationaux, notamment ceux créateurs de valeur et non de rentes spéculatives. Face à cette mise en garde, un sursaut est nécessaire.
Il ne suffit pas d’accumuler les textes de loi : l’enjeu réside dans la moralisation de la vie publique, la transparence, la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions de contrôle.
Comme le rappelait Ibn Khaldoun, « lorsque l’immoralité gangrène la société, c’est sa décadence qui s’annonce ». Et Adam Smith, fondateur de l’économie politique, soulignait l’importance de la morale dans la prospérité des nations. Sans éthique partagée entre gouvernants et citoyens, aucun développement durable n’est possible.
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