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La Loi César : Une autre arme de guerre économique étasunienne
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La Loi César : Une autre arme de guerre économique étasunienne

Loukman KONATE

17 June 2020

« La guerre économique est l’expression majeure des rapports de force non militaires. La survie d’un pays ou d’un peuple tout comme la recherche, la préservation et l’accroissement de puissance en sont les principaux éléments déclencheurs ». Christian HARBULOT

La Paix ou les sanctions, telle est le deal proposé par les États-Unis à la Syrie

Entrée en application ce 17 juin 2020, la « loi César 1» votée par le Congrès américain et promulguée en décembre par le président des États-Unis vient mettre la pression sur le régime de syrien qui est économiquement à l’agonie et l’ombre de lui-même. Elle plongée la Syrie dans un imbroglio et vient mettre sous pression maximale un pays au bout de la rupture socioéconomique avec une forte baisse de la livre syrienne face au dollar et une forte inflation de 133% en mai 2019 des prix des produits alimentaires.

La loi César pose le dilemme entre la paix et les sanctions économiques contre le régime de Damas dans la résolution du conflit syrien à travers l’expression : « cesser les bombardements et accepter de juger les responsables de crime de guerre syriens ou, dans le cas contraire, faire face aux sanctions américaines ». Ces sanctions visent les quatre secteurs clés sur lesquels reposent l’économie du pays : les hydrocarbures, l’aéronautique militaire, les finances et la construction. Elle va encore plus loin en ayant une portée sur les entreprises, les personnes et les pays qui collaborent avec le régime de Damas, quelle que soit leur nationalité, étrangère ou syrienne.

Par ailleurs, la loi César prévoit également des « mesures spéciales » contre la Banque centrale de Syrie, s’il s’avérait qu’elle se livre à des opérations de blanchissement d’argent. Elle vise en somme d’isolé et étranglé économique la Syrie en réduisant ses marges de manœuvre pour la plongée dans une crise économique plus que profonde afin de pousser le régime de Bachar al-Assad d’aller vers la résolution du conflit et ceux quoiqu’il en coûte via les menaces de sanctions.

Il n’est donc pas surprenant de voir le Liban s’insurge contre cette loi qui l’impact directement, car son principal allié dans la région est bel et bien la Syrie. Selon Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite Hezbollah, militairement engagé en Syrie au côté du régime, « la loi César (…) vise à affamer le Liban comme elle vise à affamer la Syrie ».

Une telle loi vient donc de facto sanctionner aussi le Liban dont la Syrie est un partenaire économique de poids à travers les exportations agricoles, le BTP, le transport alors que le Liban est en proie à une crise économique, une crise de change et une pression sociale sur le régime libanais. Par ailleurs, il est ahurissant de constater l’inertie des autres puissances ou régions comme la Chine, la Russie, l’Union Européenne (UE) face à la machine de guerre économique américaine à travers la mise en place de lois et des sanctions et d’y contraindre l’ensemble des acteurs économiques mondial sans rendre de compte à un tiers pays ou organisation.

Les entreprises qui exercent des activités sur le sol syrien ou ayant des relations économiques avec ce pays se voient contraindre d’arrêter ou de suspendre leur activité de peur d’être sous les sanctions américaines, ce qui conduit à asphyxier encore plus le régime syrien. L’exemple des entreprises françaises comme Total, la Société Général, BNP Paribas, PSA, Renault pour ne citer que ces entreprises peuvent témoigner de la sévérité de « Papa America » en Iran ou dans d’autres pays sur leur activité ou stratégie.

De par son énoncé, la loi César est donc une nouvelle loi extraterritoriale des États-Unis pour contraindre le pouvoir de Damas et ses alliés dans leur guerre contre les insurgés, terroristes, révolutionnaires, etc. peu importe les noms que l’on les donne depuis le début de la crise syrienne en 2011. Washington vient en effet de sortir comme à son habitude une loi sur mesure pour la Syrie à l’image de celle pour l’Iran, Cuba. La machine à fabrique de lois et d’outils américains d’influence et de guerre économique est d’une efficacité à toute épreuve avec une longueur d’avance sur les autres nations ou zones économiques. La preuve avec loi sur le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (Cloud Act) qui a pris une longueur d’avance sur le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) mise en application par l’UE. Il s’agit d’une loi fédérale américaine promulguée le 23 mars 2018, un (1) mois avant la mise en application du RGPD le 25 mai 2018. Ce qui montre la force des renseignements américains dans l’anticipation des stratégies des autres puissances.

Le Cloud Act vient donc modifier principalement le chapitre 121 du Titre 18 du United States Code, dénommé Stored Communications Act, en permettant aux forces de l’ordre ou aux agences de renseignement américaines d’obtenir des opérateurs télécoms et des fournisseurs de services de Cloud Computing des informations stockées sur leurs serveurs… Que ces données soient situées aux États-Unis ou à l’étranger. Le Cloud Act vient annuler l’objet du RGPD : à Dieu la protection des données et la souveraineté numérique en préparation dans les différents pays. Un autre exemple est le Foreign Corrupt Practices Act 2(FCPA) pour lutter contre la corruption des agents américains ou étrangers qui entretiennent un intérêt économique avec les États-Unis. Le tableau ci-dessous fait un récapitulatif des sanctions liées à la loi FCPA entre 2008 et 2017.

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Tableau récapitulatif des plus gros montants des sanctions payées au titre de l’application du FCPA (mis à jour en 2017). Ce tableau est une représentation des plus grosses indemnités payées par les entreprises américaines et étrangères au titre de sanctions pour corruption entre 2008 et 2017. Il permet de constater que les entreprises européennes sont très visées par le FCPA. Quant aux entreprises africaines, elles sont en cours de maturation avant qu’elles soient véritablement exposées à cette loi. La puissance américaine est telle qu’elle impose et contraint les autres nations ou organisations de s’aligner sur les lois mises en exergue par elles comme la convention de l’OCDE contre la corruption (OECD Anti-Bribery Convention).

Avec la loi César, la machine a fabrique de loi américaine vient d’illustrer son emprise sur le monde et surtout sur l’UE qui est sous la « Pax Americana » et se trouve être un bénit oui-oui sans avoir des armes de réponses aux sanctions américaines pour protéger les entreprises européennes contres celles-ci. Aussi, l’UE ne peut se permettre d’attirer la colère des États-Unis suite à l’épisode sur la taxe GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) via le projet de taxe sur les services numériques (TSN). Quant à la Syrie, elle n’est pas de taille à se battre contre ce rouleau compresseur américain qui ébranle la Chine et la Russie qui sont ses adversaires de poids dans cette guerre économique par rapport à elle.

En ce qui concerne la communauté internationale, elle n’existe que de nom et pas de fait. Elle se trouve également sous la domination des lois américaines comme en témoignent les sanctions contre la Cour pénale internationale (CPI). Le décret du 11 juin signé par le président américain Donald Trump autorisant des sanctions économiques et des restrictions de visa à l’encontre des membres de la CPI en cas de poursuite des militaires américains pour leur implication dans le conflit en Afghanistan. Cette mesure est également extraterritoriale, car elle s’étend aux agents des États parties qui coopèrent avec la Cour. Cette puissance américaine montre bien que la décision de faire la paix ou les sanctions, la Syrie n’a pas vraiment le choix si le régime ne veut pas se voir sombrer dans un chaos économique et social historique plus profond.

En somme, la loi César ne donne pas véritablement le choix, mais un ordre à caractère extraterritorial auquel la Syrie doit s’y conformer. Quant aux partenaires et aux alliés de la Syrie, ils doivent aussi s’y conformer de peur de voir la foudre des lois et outils ou de l’armada étasunienne les foudroyés.